Climat et durabilité, quels enjeux pour l’actuariat ?
Face à l’intensification des dérèglements climatiques et à la pression croissante pour une transition durable, le monde actuariel se retrouve à un tournant historique. Loin d’être un acteur périphérique, l’actuaire est désormais en première ligne pour mesurer, anticiper, modéliser et gérer les risques liés au climat. Entre exigences réglementaires, innovation méthodologique et responsabilité sociétale, l’actuariat climatique s’impose comme une nouvelle frontière du métier.
Le climat comme risque systémique
Le changement climatique n’est plus une menace abstraite : il est désormais une réalité mesurable. La fréquence et la sévérité des événements extrêmes – canicules, sécheresses, tempêtes, inondations – augmentent de manière significative. En 2023, les pertes économiques mondiales liées aux catastrophes naturelles ont dépassé les 300 milliards de dollars, dont moins de 40 % étaient assurées.
Pour les assureurs, ces évolutions se traduisent par :
- Une augmentation de la sinistralité dans les branches IARD (incendie, grêle et inondation).
- Une difficulté croissante à tarifer correctement les risques à long terme.
- Une pression réglementaire accrue pour intégrer les risques climatiques dans les modèles internes et les politiques de provisionnement.
Le risque climatique est systémique : il impacte à la fois les actifs (via les investissements), les passifs (via les engagements assurantiels), et les données (via l’évolution structurelle des modèles climatiques). Cette complexité appelle des compétences spécifiques… que l’actuaire est idéalement placé pour mobiliser.
La transition durable, entre risques et opportunités
Au-delà des événements extrêmes, la transition vers une économie bas carbone crée de nouveaux risques dits « de transition » : politiques publiques (taxes carbone, interdictions), innovations technologiques, évolutions des comportements, transformation des secteurs (automobile, énergie, agriculture).
Ces bouleversements affectent :
- Le portefeuille d’assurés (ex. baisse de la demande en assurance automobile).
- La valorisation des actifs financiers (désinvestissement des énergies fossiles, green bonds).
- Les scénarios économiques de long terme.
L’actuaire doit ainsi s’adapter à cette nouvelle donne. Il devient un acteur de la durabilité, capable d’intégrer les enjeux ESG (environnement, social, gouvernance) dans ses travaux de projection et de modélisation prospective.
Modélisation climatique : un défi pour les actuaires
Traditionnellement, les modèles actuariels reposent sur des séries historiques stables. Or, avec le changement climatique, le passé ne prédit plus le futur. La non-stationnarité des événements climatiques remet en question les méthodes classiques de tarification et de provisionnement.
L’actuaire doit désormais :
- Intégrer des scénarios climatiques issus de la science (ex. RCP du GIEC).
- Travailler avec des horizons longs (20, 30, 50 ans).
- Modéliser des phénomènes complexes, souvent multidimensionnels (géographiques, économiques, sociaux).
- Collaborer avec des climatologues, ingénieurs et géographes.
Cela nécessite une montée en compétences, notamment en climatologie appliquée, mais aussi une évolution des outils métiers : modélisation stochastique, données satellites, apprentissage automatique (machine learning) pour la détection d’événements extrêmes.
Indicateurs et stress tests : vers une culture de la résilience
Pour accompagner cette mutation, les régulateurs imposent progressivement de nouveaux outils. L’ACPR en France, la Banque centrale européenne, ou encore EIOPA au niveau européen exigent des stress tests climatiques et des analyses de scénarios.
Ces stress tests visent à simuler l’impact d’un choc climatique ou de transition sur :
- La solvabilité d’un assureur.
- La rentabilité des portefeuilles.
- La robustesse des provisions techniques.
L’actuaire doit ainsi concevoir et documenter ces scénarios, en intégrant à la fois des données climatiques externes et des spécificités internes (exposition géographique, structure des contrats, clauses de franchise…). Il devient un garant de la résilience financière à long terme.
Actuariat climatique : vers un nouveau métier ?
Ces mutations ne sont pas sans conséquence sur la structuration de la profession. De nouveaux profils émergent : actuaires climat, data scientists environnementaux et analystes ESG. Des cursus académiques se mettent en place pour accompagner cette transition.
L’Institut des actuaires français encourage cette évolution avec des groupes de travail dédiés (actuariat durable, climat, biodiversité), la publication de guides méthodologiques, et la participation à des initiatives internationales.
Au-delà des compétences techniques, c’est le sens même du métier d’actuaire qui évolue. Loin d’être un simple calculateur de primes, l’actuaire devient un acteur stratégique de la transition écologique, capable de rendre soutenable un système assurantiel confronté à des défis inédits.
Quelques cas concrets en France
En France, plusieurs initiatives illustrent cette transformation :
- La MRH (multirisques habitation) doit intégrer de plus en plus souvent des clauses liées aux risques d’inondation et de retrait-gonflement des argiles.
- Le réassureur SCOR développe des modèles internes intégrant le climat dans ses analyses de risque systémique.
- Des assureurs mutualistes agricoles, comme le Groupe Groupama, développent des modèles de couverture innovants face à la fréquence croissante des pertes de récoltes.
Conclusion : un métier en transformation, au service du bien commun
Le climat n’est pas seulement une variable exogène, il est devenu une composante structurelle du métier actuariel. Cette évolution est à la fois un défi – technique, éthique et organisationnel – ainsi qu'une formidable opportunité de réinventer l’actuariat.
Par sa capacité à modéliser l’incertain, projeter le long terme et quantifier les impacts, l’actuaire est un acteur clé de la résilience collective. À condition d’élargir son horizon, d’accepter l’incertitude profonde du changement climatique, et d’assumer pleinement son rôle sociétal dans la transition durable.
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