Biodiversité et solvabilité II, un défi prudentiel

Le 30 juin 2025, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a rendu public un rapport majeur intitulé Report on Biodiversity Risk Management by Insurers. Ce rapport constitue la première cartographie européenne des pratiques des assureurs en matière de gestion des risques liés à la perte de biodiversité dans leurs dispositifs ORSA, conformément au cadre prudentiel de Solvabilité II.

Solvabilité II et les risques durables

Le cadre réglementaire Solvabilité II, en application depuis plusieurs années, a progressivement intégré les enjeux de durabilité. Depuis août 2022, les risques climatiques doivent être traités dans le cadre de l’ORSA, notamment par les scénarios de transition et d’analyse de matérialité.

La nouvelle Directive UE 2025/2 renforce cette approche, en demandant aux assureurs d’intégrer explicitement les risques ESG (environnementaux, sociaux, et de gouvernance), et notamment les risques liés à la biodiversité, dans leur gouvernance, leurs politiques d’investissement et leurs processus internes de gestion de risques.

Le mandat confié à l’EIOPA, en vertu notamment de l’article 304(c)(3) de ladite directive, prévoyait l’élaboration de ce rapport au plus tard le 30 juin 2025, afin d’évaluer dans quelle mesure les assureurs prennent en compte les risques liés à la perte de biodiversité dans l’ORSA.

La place de l’ORSA

L’ORSA constitue un dispositif stratégique essentiel du pilier 2 de Solvabilité II. Il s'agit d’une démarche prospective intégrant tous les risques matériels, et permettant d’estimer les besoins de solvabilité selon le profil propre à chaque assureur. L’obligation de prise en compte des risques de biodiversité s’insère désormais dans ce cadre, via les articles 44(2), 45(2), 45a (Directive) et les articles 269, 275, 275a (Règlement délégué).

Le rapport de l’EIOPA est le premier exercice de supervision européen visant à cartographier les pratiques des assureurs en matière d’identification, de mesure, et de gestion des risques liés à la biodiversité dans le cadre de Solvabilité II.

Il souligne la complexité de ces risques, qui peuvent affecter significativement les investissements, la fréquence et l’intensité des sinistres assurés, ainsi que le profil global du portefeuille des assureurs – potentiellement jusqu’à mettre en péril la stabilité financière.

Pratiques actuelles du secteur

  • Répartition des pratiques : environ 20 % des assureurs mentionnent explicitement la biodiversité dans leur ORSA, chiffre qui monte à 40 % pour les grandes entités.
  • Primauté des approches qualitatives et risques réputationnels : la plupart des évaluations restent non quantitatives, centrées sur les dommages à l’image plutôt que sur des impacts financiers mesurables.
  • Outils d’évaluation en usage :
    • ENCORE : pour évaluer la dépendance des activités aux services écosystémiques.
    • TNFD : propose un cadre de publication des risques liés à la nature.
    • Filtres du WWF Biodiversity Risk : pour identifier les risques liés à la biodiversité dans les investissements.
  • Prise en compte sectorielle : certains secteurs particulièrement vulnérables (agriculture, énergie, foresterie, santé) bénéficient déjà d’une analyse, même si elle reste partielle.

Quelques freins majeurs

  • Accès limité aux données fiables sur les tendances des espèces ou des habitats, difficiles à traduire en métriques financières.
  • Complexité intrinsèque du risque biodiversité : dépendance aux contextes locaux, interconnections avec d'autres risques environnementaux comme le changement climatique.
  • Nexus climat-biodiversité : les frontières entre ces deux types de risques sont souvent floues, augmentant la difficulté à éviter le double comptage ou la confusion d’analyse.

Actions et recommandations

L’EIOPA identifie plusieurs pistes pour améliorer les pratiques du secteur :

  • Renforcer les synergies entre régulateurs, assureurs et science, notamment autour de l’échange de données, le développement d’outils, la création de scénarios, la priorisation thématique.
  • Approches intégrées climat-biodiversité, afin de mieux modéliser les catastrophes naturelles et combler les lacunes des couvertures assurantielles.
  • Renforcement des compétences internes, par le biais d’un dialogue structuré entre superviseurs, régulateurs et acteurs industriels.
  • Développement d’analyses quantitatives, avec des scénarios adaptés aux contextes locaux ou sectoriels, en complément des approches qualitatives.
  • Innovation produit : création de produits d’assurance paramétriques dédiés à la protection des écosystèmes ; partenariats avec les pouvoirs publics ou acteurs privés pour financer des initiatives de restauration naturelle.
  • Renforcement du rôle de l’EIOPA : engagement dans des actions de formation ou d’accompagnement auprès des superviseurs et des assureurs.

Opportunité d’innovation pour les assureurs

Les assureurs qui sauront transformer ces nouvelles obligations en leviers stratégiques (via des produits d’assurance innovants, des partenariats durables, ou encore une image responsable renforcée) se positionneront comme des acteurs de référence dans la finance durable.

Le rapport souligne explicitement le besoin de coopération : entre régulateurs, entre assurance et science, mais aussi au sein des entreprises, entre différentes fonctions (management, actuariat, conformité). Cette coordination est indispensable pour accélérer l’intégration des risques biodiversity de manière cohérente et efficace.

Conclusion

L’intégration des risques environnementaux dans le dispositif prudentiel Solvabilité II franchit une étape majeure avec le rapport publié le 30 juin 2025 par l’EIOPA. Ce document pose un point de départ indispensable, en analysant les pratiques actuelles, les insuffisances, ainsi que les leviers possibles pour les assureurs.

Si la prise en compte de la biodiversité dans l’ORSA demeure encore limitée et principalement qualitative, le potentiel d’évolution est réel : par le biais d’analyses quantitatives, d’innovations produits, et d’un renforcement des compétences. L’enjeu ne se limite plus à la conformité réglementaire : il s’agit pour le secteur de contribuer à la stabilité financière tout en soutenant une économie durable et résiliente.

L’EIOPA a lancé un message clair : malgré la complexité méthodologique actuelle, il est impératif de progresser dès maintenant. Les assureurs, les régulateurs et les acteurs de la biodiversité ont désormais à bâtir conjointement des réponses solides à ce défi global.

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